par Vincent Lisita
Le 22 novembre 2012, Michel Legrand, reçu à l'émission de radio « Les Grosses têtes » sur RTL, répond à la question :
A propos de quoi, Michel Legrand, vous êtes-vous fâché avec Charles Trenet ?
« J'avais 23 ans, j'étais orchestrateur-arrangeur, à l'époque, je commençais à avoir un petit nom, tout ça, et tout à coup, Charles Trenet m'appelle : "Voilà, je voudrais enregistrer deux chansons", je me rappelle, c'était Un Coin de rue, et l'autre c'était Paule, tu veux sauter sur mon épaule [1] .
Je suis fou de bonheur, je me dis c'est merveilleux, je vais travailler avec Trenet que j'estime, que j'adore, qui vraiment est un homme d'un tel talent ... Et alors je vais travailler avec lui ...
Son entourage me dit "vous savez, avec Trenet, il faut que le studio soit plein de musiciens, si le studio n'est pas rempli de musiciens, il ne vient pas, il ne reste pas, il s'en va". Je dis "très bien c'est facile de remplir un studio de musiciens", alors j'en prends une centaine, en tout genre, n'est-ce pas, de toutes les familles de l'orchestre, et puis j'écris tout ça [2] .
D'abord, il arrive deux heures et demie en retard. Donc on a eu le temps pendant deux heures et demie de répéter les deux chansons qu'on devait enregistrer ... On les jouait par cœur, j'avais enlevé les partitions devant les musiciens, j'ai dit "alors, vous savez par cœur, on va lui jouer par cœur, il va être épaté". Il arrive, on lui joue le premier morceau : "oui, c'est bien c'est très bien, mais attendez ... Écoutez, on va peut-être essayer sans les chœurs". Alors on supprime les chœurs ... On le rejoue. "Oh, mais attendez, je crois que les cuivres, c'est ... enlevons les cuivres". Enfin, au bout de vingt minutes, il restait plus qu'un piano et un célesta [3]...
Le deuxième morceau a subi la même chose, à la hache !
Et puis alors, désagréable ... Pas sympathique, pas chaleureux ... Alors, on sort, il dit "bon, Legrand, merci, bravo, c'était très bien, je suis très, très, très content". Je dis "vous savez, de ce que j'ai écrit, il ne reste pas grand-chose ... Mais avant de vous quitter, j'ai une chose à vous dire, mon cher Charles Trenet".
-"Oui, laquelle ?"
Je lui dis : "Je ne veux, pour le reste de ma vie, jamais plus travailler avec vous. Je ne veux plus que vous m'appeliez, quoiqu'il arrive, merci, maintenant, au plaisir de vous voir sans travailler".
Alors, on s'est rencontrés cinq ou six fois dans la vie, comme ça, à des dîners ou à des rendez-vous ou à des premières de théâtre ... "Ah, Legrand, ah, enfin, on va faire des choses ensemble !", je dis "mon cher, vous avez une mémoire drôlement courte, vous vous souvenez pas ?"
- "Non, de quoi ?"
Et je lui répète la scène ... Et je j'ai jamais travaillé avec lui après.»
Le 29 juin 1981, lors de la soirée unique que Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault organisent au Théâtre du Rond-Point en hommage à Charles Trenet, Michel Legrand est cependant présent, puisqu'il interprète Verlaine et plusieurs pots-pourris, puis accompagne Claude Nougaro.
Le 29 décembre 1983, il reçoit Charles Trenet dans son émission Le Grand studio sur TF1, pour un hommage spécial.
Enfin, durant « Le Grand Échiquier » que Jacques Chancel consacre à Shirley Bassey sur Antenne 2 le 13 avril 1988, Michel Legrand déclare à Charles Trenet, avant de l'accompagner au piano sur Coin de rue : « J'ai eu la chance, cher Charles Trenet, d'avoir enregistré avec vous il y a quelques années le disque, d'avoir fait à Paris le disque de Coin de rue à l'orchestre vous accompagnant. J'étais très heureux. C'était un très grand moment pour moi ». (Note du webmaster : voir la vidéo ci-dessous)
[1] - Plus précisément Coin de rue et Paule sur mes épaules, enregistrés à Paris le 5 mai 1954.
[2] - Dans le tome 10 de l'intégrale Frémeaux, il est stipulé, concernant ces deux enregistrements : « Acc. D'orchestre, dir. Jacques Hélian ». Pour la version chantée par Juliette Gréco, enregistrée le 22 juillet 1954 : « Orchestre dir. Michel Legrand ».
[3] - Michel Legrand confond certainement avec l'enregistrement de l'Âme des poètes, durant lequel, effectivement, l'orchestre fut réduit à ces deux instruments. (Note du webmaster : nous avons d'ailleurs raconté cet enregistrement épique dans cet article à relire ici "Quand l'ondioline remplaca Django") Pour Coin de rue et Paule sur mes épaules, une simple écoute permet de constater que l'orchestre semble assez fourni en instruments.
NOTE : Vincent Lisita, qui nous a fait parvenir cet article est également l'auteur de Trenet méconnu , aux Échappés. Cet ouvrage apporte des aspects moins connus de la vie de Charles Trenet et propose plusieurs photographies jusque là inédites. A recommander !
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