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....où l'on parle de Charles


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DERNIERES ANNEES... DERNIERS MOIS...
le 23 Nov 2007 - 06:27
Sur l'homme... par Pascal Sevran

On peut penser ce que l'on veut de Pascal Sevran, le trublion du PAF. Certains ne verront en lui qu'un personnage énervant et hystérique qui a fait de la provocation un art de vivre. D'autres salueront l'animateur de "La Chance aux Chansons", ce grand défenseur de la chanson française qui offrit à Dalida l'une de ses plus belles chansons (Il venait d'avoir dix-huit ans). Quant à moi, je me garderai bien de donner mon avis.

Dernièrement, les trois premiers volumes de son journal sont arrivés entre mes mains. Stéphane, l'amour de sa vie, fauché par la maladie en pleine jeunesse, est au centre de son récit. A fil des pages, Pascal Sevran évoque également ses préférences littéraires (Berl, Jouhandeau, Chardonne, Léautaud), ses amitiés pour François Mitterand, Dalida ou Roger Hanin...
Entre 1999 et 2001, à plusieurs reprises, il parle aussi son ami Charles Trenet. Ce sont les dernières années, les derniers mois du Fou Chantant et donc un témoignage intéressant... Quelques extraits, sans commentaire...


Paris, 17 mai 1999.

Charles Trenet a quatre-vingt-six ans.
Je l'appelle à tout hasard sur le portable de Georges, son secrétaire, et je le joins dans un restaurant chinois de Nogent ; enjoué, profitant de la vie avec gourmandise. Diable d'homme, on ne sait jamais comment on va le trouver, dans quelle humeur, ni où. La semaine dernière, il s'impatientait en faisant les cent pas dans le hall d'entrée du studio Gabriel où il devait tourner une émission pour son anniversaire.
- Je m'en vais, me dit-il, on ne s'occupe pas assez de moi ...
Et il est parti aussi sec, laissant Michel Drucker les bras en croix sur le trottoir, interloqué mais bon prince, et qui n'en revenait pas.
- Sacré Charles ! On ne le changera pas, me dit-il.
- Ca non, il est trop tard.

Cent fois je l'ai vu faire demi-tour quand quelque chose ou quelqu'un lui déplaisait, un détail, une fleur fanée, un courant d'air, un gendarme distrait, une guirlande défraîchie, une poussière, des riens charmants que seuls les poètes et les fous remarquent en passant.
- Et puis, me dit-il, il y avait deux grosses dames peintes qui sont comiques paraît-il, mais moi je ne les trouvais pas drôles, et puis une autre fumait en me parlant.

Trenet a quatre-vingt-six ans !
Il se tient bien à table et sur scène, si longtemps après avoir fait danser nos grands-pères. Ils sont tous morts maintenant, sauf lui qui a fixé l'échéance lui-même.
- Je mourrai dans cinq ans, a-t-il annoncé tranquillement à Patrick poivre d'Arvor en direct au journal télévisé de TF 1 hier soir. Ce sera assez...
PPDA prend date.
La séquence repassera soyons-en sûrs. Quand ? Trenet parle toujours légèrement des choses graves. En attendant ce jour maudit, il ne faudra pas laisser traîner lui des cendriers pleins ou des femmes mal coiffées. Nous y veillerons Drucker et moi, et avec nous tous ceux qui savent que les caprices de poète ne sont vraiment que des espiègleries.

Extraits de "La vie sans lui" - Journal I © Editions Albin Michel S.A., 2000

Morterolles, 9 juin 2000.

Charles Trenet a l'instant au téléphone.
La voix est hésitante, mais l'esprit est là.
- Je te dérange, tu te reposes ?
- Non, c'est quand tu n'appelles pas que tu me déranges.
Pour sa dernière pirouette Charles n'aura pas besoin de béquilles, il s'en ira sur un bon mot qu'il improvisera dans l'urgence ou qu'il aura préparé de longue date.

- Je vais aller à Aix la semaine prochaine, là-bas je pourrai marcher, me dit-il. J'ai fait poser des barres métalliques dans les allées du parc... c'était une démarche prémonitoire.
Trenet rit, un pauvre rire cassé mais il rit.
Il n'ira pas à Aix, le voyage et la chaleur lui seraient fatals, Georges, son secrétaire si dévoué, me l'a dit.
- Appelle-le, ça lui fera plaisir. Il est dans une maison de rééducation à Louveciennes.

Notre conversation fut brève, empreinte de l'affection qu'il me témoigne depuis mes vingt ans. (...)
Pas un mot sur sa souffrance physique, sur les tourments de son âme. Charles ne se plaint pas, il plaisante. A quoi pense-t-il, à qui, cloué sur un lit, lui qui a tant aimé la mousse des bois ? Nous n'en saurons rien, il aura chanté nos jeunesses éblouies au bord de l'eau, nos folles amours avec des fils de gendarme et, pour finir, nos chagrins devant le feu qui s'éteint, mais il n'aura jamais parlé de lui. Charles Trenet mourra en emportant ses secrets et nos dernières illusions.

Paris, 5 juillet 2000.

J'ai vu Charles Trenet vivant.
Il m'attendait dans le vestibule de son appartement de Nogent-sur-Marne où, contre l'avis médical, il est revenu s'installer la semaine dernière.
- J'ai signé une décharge pour avoir le droit de me prendre en charge.
Le ton est faussement enjoué, l'élocution est lente, molle. (...) Il fait peur, mais je n'ai pas eu peur en l'embrassant. Ce masque, Charles le porte depuis deux ans déjà. Le maquillage a viré mais le regard est là, rond comme sur les affiches, vif ou halluciné d'un instant à l'autre. Il me sourit comme il souriait à la fin d'une chanson triste.

- On y va ? Je suis prêt.
Je me demande comment il va se lever, il se lève pourtant, géant voûté et bancal, engoncé dans un costume pied-de-poule qui date d'avant nous. Va-t-il marcher ? Je lui offre mon bras qu'il accepte.
- Je ne veux pas de canne, me dit-il. Je veux aller à Cannes.
L'avait-il préparé, cette réplique de théâtre qui sonne comme un défi quand nous le croyons mort ? Georges, le fidèle, le fils inventé, sera jusqu'au bout celui qui bouge et qui rit quand Charles Trenet veut rire et bouger.
- Il pleure aussi sur sa jeunesse et les amis d'autrefois, me confie Georges. Avant sa maladie, Charles ne pleurait pas ...

Je ne pensais jamais le revoir. Il y a deux mois toutes les radios, les télévisions, les journaux en alerte préparaient son enterrement, et nous sommes là, Georges et moi, à l'aider à s'asseoir dans une voiture de sport rouge qu'il a choisie sur catalogue parce qu'il la trouvait jolie pour l'été.
- C'est la troisième en dix jours qu'il me fait acheter, et maintenant il veut pour demain une BMW décapotable bleu marine pour partir dans le Midi.
Georges n'en peut plus de courir les garages :
- Alors que nous avons des voitures partout... que veux-tu, ça le distrait.

Et puis nous avons traversé le bois de Vincennes qu'il a si bien chanté pour aller déjeuner dans un restaurant chinois de Saint-Mandé où il a repris ses habitudes. Je l'ai regardé, attendri, comme je regarde mon père quand il se régale. Je l'ai vu presque gai, une serviette autour du cou devant une soupe aux vermicelles et une bière chinoise.
- Là-bas, j'en avais assez, je me rasais toute la journée, maintenant je me rase tout seul chez moi le matin.
Content de son effet, il m'a tendu sa joue pour que je constate qu'il disait vrai.
- Là-bas, je me fatiguais, ces endroits qu'on appelle maisons de repos ne sont pas du tout reposantes, et elles sont mal remboursées par la Sécurité sociale...
Entendre Charles Trenet se plaindre de la pingrerie de la Sécurité sociale le jour même où la SACEM vient de lui verser des droits d'auteur qui devraient lui permettre de s'offrir une pharmacie est un plaisir surréaliste.

Charles m'a dit d'autres choses encore, moins primesautières, plus tendres sur mes vingt ans, quand nous avions rendez-vous, chez lui à Aix-en-Provence où il veut retourner aussi, avant qu'il ne soit trop tard. Ca, il ne le dit pas, il le pense, et c'est pour cela qu'il pleure quand nous ne le voyons pas. Je l'ai laissé finir de déjeuner sans moi qui ne déjeune pas. Georges veillant sur un fantôme qui ressemble à Charles Trenet.
- J'ai été content de te voir marcher, lui dis-je.
- Oui, une marche funèbre.
Il m'a dit cela doucement à l'oreille, en confidence, un mot encore, un mot de parade, la musique viendra. Les tambours grondent.

Paris, 28 septembre 2000.

Trenet au téléphone depuis Aix-en-Provence ;
- Je vais remonter à Paris pour le Salon de l'Automobile, les voitures que j'ai achetées cet été sont trop mastoc, ça ne va pas du tout. Je veux voir d'autres modèles, genre modernes.
Mais pour aller où ? Trenet ne serait pas Trenet s'il n'achetait des voitures pour aller nulle part.
-Sais tu que les gens des garages ont de drôles d'expressions ? Ils ne disent plus bleu, ils disent gris d'Islande...
Et il rit. Trenet rit au lieu d'être mort. Il ne fait rien comme tout le monde. Tant mieux.

Extraits de "Les lendemains de fêtes" - Journal II © Editions Albin Michel S.A., 2001

Morterolles, 24 février 2001.

Charles Trenet est mort !
(...)
Je n'ai cessé de parler de lui partout, afin de raconter ce diable d'homme dont on ne sait rien que ses chansons, ce qui est beaucoup. Je réalise seulement qu'il a emporté nos jeunesses avec lui, autour de l'église de la Madeleine, hier après-midi.

Trenet est mort !
Puisqu'on le dit, que c'est écrit dans les journaux. Occupé à ne pas être trop convenu en évoquant sa mémoire, je n'ai pas eu une seconde pour me recueillir. C'est dans le silence aujourd'hui que je peux penser à lui. Il se rêvait immortel, il l'est désormais, comme Molière et Picasso.
Il n'empêche, nous n'irons plus au bois les lauriers sont coupés, nous ne sommes rien, rien qu'un misérable petit tas de cendres.
Charles Trenet est mort ! Nous ferons comme si c'était une farce.

Morterolles, 25 février 2001.

A la jeune femme venue m'interroger pour Canal+ et qui s'étranglait d'indignation parce que Trenet chantait Douce France en 1942, j'ai dû rappeler qu'il chantait Y'a d'la joie en 1936 sans qu'on le remercie pour autant d'avoir inventé le "Front populaire". Alors ? Fallait-il que les chanteurs chantent quand le Maréchal Pétain donnait des bals à Vichy ? On en a plus qu'assez de ces procès en sorcellerie intentés sans pudeur par des "belles âmes", irréprochables évidemment.
Et les piles ? Avaient-elles le droit de pondre en 1942, et les boulangers celui de faire du pain ?

Extraits de "On dirait qu'il va neiger" - Journal III © Editions Albin Michel S.A., 2002

 
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Re: DERNIERES ANNEES... DERNIERS MOIS...
par summicron (Envoyez un message) le 23 Nov 2007 - 08:41
Trenet était pudique.

Je ne suis pas certain qu'il aurait apprécié le texte de Sevran.

En plus, Trenet qui a écrit cette chanson anti-raciste : Le Noêl des enfants noirs, aurait été agacé par les propos de Sevran sur les Noirs en Afrique.




Extrait de l'émission Arrêt sur Image du 16/12/2006 - Dur : 5'27



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