Thread: Qui pleure vendredi…

Jeannette - 18/9/2010 à 20:12

Bonjour. Parmi les photos de mes vacances en France, il y a une d’un tableau qui se trouve dans la maison natale. Il y a là beaucoup de photos de Trenet avec les amis et les vedette, et beaucoup de tableaux faites par son frère Antoine, mais il y a très peu qu’on peut dire montre son propre goût. Seulement, dans l’escalier, il y a deux très grands tableaux : une tapisserie ancienne, et une peinture moderne. Peut-être ils sont dans l’escalier parce qu’ils sont trop grands pour les pièces. Ils sont en haut, au niveau de appartement de Trenet, alors on peut dire qu’ils sont là pour lui-même plutôt que pour des autres. En face de sa porte est ce grand crucifixion :



On ne parle pas beaucoup de Trenet et la religion, mais, même s’il n’avait pas de foi orthodoxe, les images chrétiennes/catholiques paraissent ass ez souvent dans ses chansons. Peut-être c’est un peu une langue poétique, mais j’ai l’impression que pour lui c’est aussi un aspect de l’innocence d’enfance perdue, et de l’amour trouvé en rêve plutôt qu’en réalité. Que pensez-vous ?

Le guide à la maison nous disait que le tableau était fait par un ami de Trenet (qui s’appelait Laffitte) et qu’il date des années 60, et représente ces jours noir, avec les chiens qui symbolisaient fidélité. Sans doute elle avait raison, mais ce sont des images récurrent dans son œuvre, donc, je crois que ce n’est pas un tableau choisi au hasard.



[Edité le 4/12/2010 par Jeannette]


FrederickSucre - 19/9/2010 à 13:26

Bonjour Jeannette,
difficile à dire... Je crois me rappeler que Charles évoque son ami le peintre Lafitte dans l'émission Sacrée Soirée de 1990 : Lafitte a peint un paysage à l'encre de Chine, que Charles a aquarellé... On trouve également sur Internet un article décrivant il y a quelques années la villa d'Antibes, dans laquelle se trouvait un portrait d'Aznavour peint par Lafitte.
Ensuite, on sait que Charles aimait peupler ses maisons d'oeuvres d'Art montrant effectivement des sujets religieux : je pense aux statues d'évêques à Aix, ou encore des Mater dolorosa ici et là... Etait-ce par foi, ou bien pour accentuer le côté "gothique" de sa demeure, avec les armures ? Le débat mérite d'être ouvert !
Bien à vous,
Frederick Sucre.


Jeannette - 4/10/2010 à 20:39

Il y a certainement ce gout gothique, et aussi des chansons avec les fantômes ou qui parlent de chanter après la mort (Je chante, Sur le fil, Kangourou, Je n'irai pas, Hélicoptère ...), mais on voit aussi un côté plus romantique, ou plus doux, comme dans Ce soir je viens chez toi et beaucoup de chansons qui parlent de la joie, la mort, le printemps éternel et tout ça. Bien sûr, la joie ou l'amour dont il parle est souvent un rêve, ou une illusion ("gentil soleil menteur," "dans un songe y a un mensonge" &c), mais c'est un rêve dont il parlait ass ez souvent pendant tout sa vie, n'est-ce pas ? Parfois aussi il utilisait une langue qui me paraît biblique ou ecclésiastique, et ce n'était pas la mode à cet époque dans le music hall, je crois - c'est une façon de s'exprimer qu’il a choisi, pour parler des choses qui l'intéressait.

Comme d'habitude je ne réussis pas à m'exprimer très bien en français. J'espère que je ne vous donne pas trop de peine !


Jeannette - 1/3/2011 à 15:34

A ce propos, Charles Aznavour disait sur France Musique: « Mais Trenet était un enfant du patronage. Trenet avait regardé en lui un certain religion… familiale… Il était chrétien, alors, on le sentait dans le travail. Il n'en a jamais parlé, mais en fait il était un chanteur chrétien. »

Et Charles Trenet que dit-il ? J’ai recueilli quelques paroles :

quote:

— A la longue, il aurait acquis des idées nettes, et peut-être définitives, sur les seuls trois grands problèmes de ce monde : Dieu, la vie, la mort. Pour le moment, — et il en sera toujours ainsi, certainement, — Dieu, dont il s’interdisait de se faire la moindre image, lui dispensait ses grâces inexprimables, puisqu’il pouvait souffrir sans révolte et être heureux sans amertume. Les déceptions, les douleurs, il les acceptait, en se gardant bien de commettre le sacrilège de croire que Dieu lui manifestait ainsi sa puissance de justicier. En dépit de ses faibles moyens d’investigations dans les arcanes de la métaphysique comme dans celles de la doctrine chrétienne, il était convaincu que Dieu n’est que bonté, indulgence, miséricorde infinies, et qu’il ne punit jamais les humains, qui sont tellement irresponsables de leurs fautes. ll ne croyait ni au péché, ni à la rédemption par la souffrance. Dieu est si haut, si loin, si indéfinissable, qu’il ignore sans doute que nous souffrons. S’il nous imposait la souffrance, il ne serait pas Dieu. Au cours de ses méditations sur ces hypothèses, Dodo se remémorait toujours cette admirable réflexion que fit Henri Duparc, notre plus grand musicien après Rameau, Debussy, Ravel, et qu’il avait lue il ne savait plus dans quel livre : « Dieu ne nous demande jamais rien au-dessus de nos forces : la preuve, qu’il a fait la vie courte. » Evidemment, sur ce chapitre, l’élève Manières sentait le fagot, mais un fagot d’aromates, où des branches d’encens et d’hysope voisinaient avec les tiges des plantes qui donnèrent leurs petites fleurs à saint François d’Assise.

— … je demandais à Jésus de venir me voir. Il apparaissait de très bon matin, avant le tintin de la cloche, vers 6 heures, traversant le dortoir, revêtu d’une longue, souple et silencieuse tunique blanche. Il s’approchait de mon pageot, caressait mes cheveux d’ange, m’embrassait tendrement et remontait au ciel. En bas, à 7 heures, dans le réfectoire, il était en croix, collé au mur, sur un mètre cinquante. Il me souriait. Je répondais par un clignement d’œil de copain à copain. Une fois, le pion surprit mon manège, le trouva sacrilège et indécent. Je dus recopier cent fois, en tirant la langue : « Je jure de respecter les crucifix. » J’aurais juré n’importe quoi à cet imbécile. Je savais que Jésus était mon ami, mon père, fils du Saint Esprit, le plus doux des camarades à qui je pouvais tout dire sans parler de péché.

— La foi religieuse que j’ai m’a aidé beaucoup … Mais, j’ai pensé évidement beaucoup à des choses un petit peu plus sérieuses. Dans le fond c’était un peu comme si j’avais fis une retraite dans un couvent. Je pensais que bien souvent il y a des choses sérieuses dans la vie que l’on néglige sous le prétexte d’être drôle, et de s’amuser et alors j’ai pensé peut-être un petit peu plus profondément à certaines choses. Je pensais à mon enfance, à mes jours de catéchisme, à ma première communion. Je pensais beaucoup à des choses religieuses et voilà pourquoi ma première réaction était non pas d’écrire une chanson gai, ça était de faire, d’écrire une prière. Mais une prière spécial, une prière pour les prisonniers, que j’ai dite le dimanche à la messe…

— Dieu me semble un concept un peu faible. Vous croyez, vous, à un Créateur qui s'emmerdait ass ez dans l’éternité pour créer le jour et la nuit. puis Adam et Eve, ces deux singes ? Cela dit, j’ai foi. J’ai foi dans l’univers qui est une grappe de raisin.

— Pour juger de la dimension réelle de notre pouvoir, il suffit de se rendre compte que nous jouons tous une pièce écrite par un auteur inconnu, et qui le restera. Mais il est indispensable d’admettre, en même temps, que notre existence a un sens profond qu’il ne faut pas négliger sous prétexte d’être heureux.

— Je préfère croire à une puissance extraordinaire qui donne la vie qu’à une patte de lapin qui va me porter bonheur. Ce matin, j’ai prié. Je n’arrivais pas à enfiler mes chaussures, et j’ai dit: “ Mon Dieu, si Vous existez, mettez-moi le pied dans mon soulier. ” Et je l’ai mis… Après la vie, il n’y a rien du tout. Rien. Mais c’est bien, rien, c’est reposant. Oui, la vie est un passage physique, et l’âme n’existe pas. Il y a l’âme des poètes, je l’ai chantée, c'est ce qu’ils ont laissé. Je voulais écrire un livre, mais je n’ai que la fin, où un type arrive et meurt. Et il dit: « Ah oui ! A présent, je me souviens !… »



Il y a aussi tout ce côté que Serge Hureau appelait panthéisme, et que d’autres ont dit franciscain (l’auteur lui même parlait de François d’Assise ci-dessus) :

Rivière mon amie
C’est pour toi que je chante
Et vous petits oiseaux écoutez-moi
Cochons vaches et veaux
Et vous bêtes méchantes
Qui hurlez dans les bois

ou

C’est toi la branche de bois mort
C’est toi l’oiseau, la mer, le port
Les vacances...

Les sources de ces citations :
1. Aznavour : France Musique 18/19 février 2011, Nuit Charles Trenet
2. Dodo Manières pp 209-211, ch XXII
3. Mes jeunes année p119
4. Sortie de prison. Entretien avec Charles Trenet à son domicile provençal par Antoine Livio(Radio-Lausanne, août 1963 c.) Horloge de sable, 26/2/2011, RSR
5. L’Express, 5 Nov 92, 19/2/2011
6. Pessis, L’âme d’un poète, p53
7. Cannavo, Monsieur Trenet, p536
8. La route enchantée
9. L’oiseau des vacances


[Edité le 8/3/2011 par Jeannette]


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