Thread: Article paru dans le Monde le 19 février 2001

Carl - 21/2/2003 à 08:35

Bonjour à tous !

Lorsque Charles Trenet nous a quitté il y a tout juste deux ans, j'ai conservé quelques articles de la presse française. En relisant récemment les nombreuses pages que "Le Monde" avait consacré à Charles, je suis tombé sur un paragraphe qui m'a laissé perplexe. Je me permets de vous le citer ci-après et vous demande votre avis :

" ... éternel enfant mangé aux mythes, légende dorée hantée de masques et de loups . Il y a donc une énigme Trenet, si épaisse qu'elle génère le malaise. Que dit Trenet ? Que le monde est dur, pourri, mais que nous avons la tristesse joyeuse. Charles Trenet, après sa rupture avec Johnny Hess, devint très vite le chanteur-symbole du gouvernement du Front populaire, serviteur du swing à la mode. Fleur bleue, Vous qui passez sans me voir, Y'a d'la joie se sont imposées comme les chansons de la gaieté populaire. Mais elles ne reflètent pas l'ensemble de l'œuvre d'un auteur qui est davantage un pervers polymorphe. Elevé au rang de poète national, Charles Trenet a pourtant longtemps effrayé une partie du public français. Car il transmet des sensations confuses, insupportables, comme l'est l'idée de la dépression chez les jeunes enfants. Charles Trenet s'était cyniquement attaché à ne toucher qu'une poignée d'auditeurs ass ez intelligents pour saisir au vol des messages de mort glissés dans une chanson qui balance. L'exercice de camouflage le plus souvent cité est celui de Je chante, chanson d'une gaieté flamboyante, où un saltimbanque incriminé par les moustaches policières se pend et trouve le repos et la jubilation dans la mort (« Je chante ! Je chante soir et matin... Je couche Parmi les fleurs des talus Les mouches Ne me piquent plus »). Simplement déclamée, privée de la gaité des arrangements, le poème devient marche funèbre. Mais il y en a d'autre : Papa pique et maman coud révèle le drame d'un jeune homme poursuivi par sa mère jusque dans sa nuit de noces ; L'Abbé à l'harmonium est une satire de l'homosexualité ecclésiastique, et un constat des possibles brimades écolières ..."


summicron - 21/2/2003 à 11:31

Il y a deux points différents dans cet article.
Le premier est totalement faux : l'abbé à l'harmonium n'a rien à voir avec la pédophilie écclesiatique. Même si le refrain est équivoqie ("Mon Dieu, comme il pédalait bien l'abbé"), je pense qu'il faut le prendre au premier degré : c'est un harmonium...à pédales comme il y en a encore dans certaines églises. Trenet était suffisamment subtil pour ne pas tomber dans l'équivoque lourde. Quand il y a équivoqie chez lui, elle est légère. Exemple: la chanson "Michelle" où il joue sur le dernier e muet (Michel) pour, à la fin, au contraire, accentuer : Michel-le.
L'autre point est vrai : l'art de Trenet est tout de légèreté, mais il n'évoque que de la mort.
Pour Trenet, la condition humaine est horrible. Alors, amusons-nous de tout et, surtout, inventons-nous un monde de carton-pâte ("Je vis dans une opérette") où l'éternelle jeunesse n'est qu'illusion.


CharlesBlondeau - 21/2/2003 à 13:37

La compréhension des textes de Trenet se situe à 2 niveaux et on a toujours de la difficulté à reconnaître le premier du second. Ainsi, l'Abbé à l'harmonium a ses deux sens bien ancrés. Comme, dans le Revenant, on ne sait pas si Charles voit le Diable ou le Docteur.

Et puisque Charles a cultivé l'art de l'ambiguïté comme du grand Cocteau, il sème un doute qui fait vraiment la richesse de ses textes.

J'aime bien l'allusion à la dépression infantile: Charles s'est créé un monde complet bien enduit d'une épaisse couche de fausse indifférence. Chez quelqu'un d'autre que chez ce génie, cela aurait passé pour une pathologie héritée de sa tendre enfance!

Mais Charles n'est pas dupe: il sait quel est son mal!


summicron - 22/2/2003 à 01:39

Oui, c'est le "mal mauve" auquel il fait allusion dans son roman (?) "Un nègre éblouissant".

Trenet devait être un hyper-sensible, une éponge. Comme il faut bien vivre, il a joué toute sa vie à rester jeune, immortel.
Jusqu'à son dernier récital où il prétend avoir été renversé par un cycliste pour justifier sa fatigue...c'est la "Vie qui va"
Jusqu'à son dernier bon mot à la "première" de Aznavour :
on lui demande : "Comment avez-vous trouvé Aznavour ?"Il répond : "Très facilement".


CharlesBlondeau - 26/2/2003 à 14:28

Au sujet d'Aznavour, toujours, on peut citer celle-ci:

à Pascal Sevran qui leur dit qu'il y a deux grands Charles dans la chanson française (Trenet et Aznavour), Charles Trenet répond:

"c'est pour cela qu'on met un "S" à "Charles".

Vite et profond, mais jamais déplacé, pas vrai ?


summicron - 1/3/2003 à 05:10

Très bon en effet.
Quelques jours avant sa mort, Trenet s'achète une nouvelle automobile ! Une Peugeot 206 CC.
On lui demande : "Elle marche bien ?".
Il répond : "Oui...Marche funèbre".


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