par Vincent Lisita
En l'automne 1943, Charles Trenet annonce à un journaliste belge qu'il va bientôt révéler publiquement ce qu'il pense du cinéma français, qu'il juge "en dessous de tout" à part trois ou quatre exceptions...
Puis, qu'il veut tourner des films par lui-même, en tant que réalisateur.
"M. Trenet est comique en voulant donner des leçons de cinéma à MM. Feyder, Carné, Becker et à quelques autres..."(*1)", ironise l'hebdomadaire Comoedia, dans un article publié le 2 octobre"!
La réponse de Charles Trenet ne se fait pas attendre, sous forme de lettre ouverte, que le même journal publie deux semaines plus tard. (*2)"
Elle nous montre un Fou chantant on ne peut plus lucide sur les films auxquels il a participé : La Route enchantée, Je chante, Romance de Paris, Frédérica, Adieu Léonard, le dernier en date étant alors La Cavalcade des heures.
Néanmoins, ses aventures cinématographiques ne vont pas s'arrêter là, puisqu'il va retrouver la chaleur des studios à plusieurs reprises après la Libération.
Une lettre de Charles Trenet - Rythme musical et rythme d'images
Surtout, comprenez-moi bien : je pars en guerre contre mon cinéma, celui qu'on m'a fait faire, cette série de stupidités abracadabrantes, les hallucinantes niaiseries auxquelles je ne veux plus participer.
Pas une seconde je n'ai eu l'idée de donner des leçons de cinéma à MM. Becker, Carné, et à tous ceux que vous et moi admirons.
Simplement, je veux que le public, à qui l'on ne doit rien cacher, sache pourquoi je m'intéresse au music-hall et comment on m'obligeait à tourner. Dans ce cas, me direz-vous, pour quelle raison avez-vous accumulé ces erreurs ? Parce que je croyais fermement chaque fois que le "miracle allait se produire"; le miracle qui aurait donné à la technique la compréhension de mon utilisation.
Disons donc qu'à part Pierre Prévert, qui a du talent et dont je suis fier de partager l'insuccès, j'ai été, par les autres, toujours "employé" dans des rôles crétins de jeunes hurluberlus plus ou moins zazous.
Pour ceux-là, fini. . . ni-ni !
Zut! Zut! Zut! Zut! Zut! Je ferai mes films moi-même, je les commanditerai. Je parle en poésie un petit langage facile et sincère qui touche le monde. Il n'en faut pas plus pour me traduire à l'écran.
Les grands metteurs en scène français sont dramatiques. Lorsque Carné présente Drôle de drame (chef-d'oeuvre de comique), personne ne comprend et l'on siffle. Je me suis battu pour ce film. Je me suis battu pour La Règle du jeu et tant d'autres. J'ai toujours eu l'idée de travailler pour le cinéma (j'ai été assistant avant de chanter).
Je pense en chansons. Je veux dans mes films traduire le rythme musical en rythme d'images. J'y arriverai parce que je sais ce que je veux et que rien ne pourra m'en empêcher.
C'est, hélas ! Une question d'argent et je serai ravi d'y engloutir pour une belle chose ce que pas mal de stupidités cinémateuses m'ont rapporté.
En toute sympathie.
Charles Trenet.
(*1) - Comoedia du 2 octobre 1943.
(*2) - Comoedia du 16 octobre 1943.
NOTE : Vincent Lisita, qui nous a fait parvenir cet article est également l'auteur de Trenet méconnu , aux Échappés. Cet ouvrage apporte des aspects moins connus de la vie de Charles Trenet et propose plusieurs photographies jusque là inédites. A recommander !
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