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par Dominic Daussaint
"Charles a raté sa vocation : il est né peintre", disait Marie-Louise, sa mère.
Pourtant, cette passion ne quittera jamais Charles Trenet. Il faut dire que le virus de la peinture l'avait frappé très tôt.
À 5 ans déjà, lors des traditionnelles vacances à La Nouvelle, le petit Charles s'isole sur les rochers, dessine des paysages imaginaires... et, déjà, se heurte à sa mère, peu sensible au surréalisme. "Dessine ce que tu vois !" lui répète-t-elle lorsqu'à la place du phare, le bambin esquisse une ombrelle pour protéger les bateaux du soleil. À 8 ans, c'est Landru, ce vilain barbu, qui devient son modèle favori...
Un ami de son père, le peintre Fons Godail, que Charles décrit comme "une espèce de Renoir catalan", l'initie à la poésie des couleurs. Une rencontre décisive. La peinture devient la principale occupation des jeunes années de Charles. Une véritable passion. Très vite, il expose. En 1927, à 14 ans, il propose "trois toiles, rutilantes de joie, de fougue et de lumière", comme l'écrit "Le Coq Catalan".
Mais il y a toujours l'école, grise, triste et interminable. En 1928, à Perpignan, Charles supporte de moins en moins le collège, ses ombres noires, son atmosphère feutrée. Quelques noms d'oiseaux à un surveillant, c'est le renvoi ! L'occasion d'errer, le temps d'une saison, dans l'atelier lumineux du peintre Fons Godail. Aux jardins de Saint Jacques, l'artiste installe son chevalet sous les pêchers en fleurs. À côté, Charles pose un petit carton sur ses genoux. L'homme l'initie à son art, lui apprend à regarder, le conseille sur le choix des teintes, leurs accords...
Divorcée, la mère de Charles s'est installée à Berlin avec son nouveau mari, le cinéaste Beno Vigny. C'est là que, fuyant le soleil du midi et ses bleus rivages, Charles poursuivra ses études.
Dans la famille, il est entendu que Charles, "l'artiste", sera architecte comme son grand-père et son oncle. Le voilà donc inscrit à la "Künstegewerbeschule", une école de dessin réputée. L'aventure ne durera que 10 mois... Bien plus tard, de son propre aveu, Charles chantera dans le surréaliste "Papa peint dans les bois" :
"À l'école des Beaux-Arts, `
Je vivais comme un lézard,
Je n'foutais rien
Soir et matin.
J'passais mon temps à faire l'idiot
D'vant les copains"
Puis, c'est vrai, Charles est plus enclin à la fougue de ses paysages enflammés qu'à la froide rigueur des tracés géométriques.
En 1930, de retour au pays, Charles signe une nouvelle exposition, logiquement intitulée "Impressions d'Allemagne". Ensuite, tout au long de sa vie, il ne lâchera jamais longtemps les pinceaux, exposant de temps en temps. Ce sont les impressionnistes, Cézanne surtout, qu'il préfère et qui l'influencent. Au lendemain de la guerre, sa première exposition parisienne à la galerie Delpierre présente trente toiles, réunies sous le thème "Paysages de mémoire".
Si la peinture est une passion, celle-ci restera toujours un peu comme inassouvie chez ce poète et musicien qui avait décidément hérité de tous les dons : "Quand j'ai commencé la chanson, racontait-il, on me disait toujours, dans ma famille, "peintre, ce n'est pas comme le music-hall, c'est un vrai métier".
Dans ses propriétés, les toiles et les aquarelles de Charles voisinent avec des noms prestigieux : Chirico, Laprade, Marie Laurencin, Renoir… et bien sûr des dessins de Cocteau.
La peinture est aussi bien présente dans l'œuvre de Trenet
"Le jardin extraordinaire" serait inspiré d'un tableau de Laprade tandis que c'est une œuvre d'Utrillo, vue au domicile même du peintre, qui donnera naissance au célèbre "Coin de rue". Plus tard, Charles rendra hommage au vieux peintre de son enfance,"Fons-Godail". Enfin,"Le peintre perdu", dans son avant-dernier album, constitue une véritable réflexion sur la création artistique. La poésie des couleurs marque toute l'œuvre de Trenet. Et lorsqu'on lui demandait s'il y avait un rapport entre la musique et la peinture, il répondait, l'œil pétillant : "Oui, car ce sont les mêmes mots que l'on emploie dans le langage "musical" et "pictural", comme : nuances, tonalités, climats..."
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