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par Bruno Jamin
On a tant dit, tant écrit sur Trenet mais on a rarement eu le courage de parler de son homosexualité. De peur, sans doute, de ternir l'image du poète.
J'avais 20 ans quand éclata le scandale Trenet. Détenu à Aix-en-Provence sous le chef d'accusation d'attentats aux moeurs sur la personne de quatre mineurs de moins de 21 ans, il était accusé par son chauffeur qui aurait servi de rabatteur et qui avait essayé - en vain - de faire chanter son patron.
Trenet chantait, mais pas sur cet air là.
Après 28 jours de prison, il fut libéré le 10 août 1963, l'affaire se terminant par un non-lieu. Mais désormais, on avait compris. On savait que Trenet était gay comme on ne le disait pas encore à l'époque. Ce qui m'a marqué ce sont les plaisanteries, rarement fines, que les gens normaux lançaient dès lors à son propos. Plaisanteries bien grasses qui me blessaient, moi qui venais (enfin) d'accepter ma propre homosexualité. Comme je me sentais proche de lui à cette époque : quand on se moquait de lui, on m'insultait, moi.
J'ai redécouvert vraiment Trenet bien plus tard lorsque l'on m'offrit le coffret de 7 CD Le fou chantant. Ce n'était que 182 chansons (sur 900 !), mais que de découvertes ! Tant de chansons que je ne connaissais pas, pleines de joie de vivre, légères, souvent joyeuses, parfois même franchement surréalistes. Mais il fallait les écouter plusieurs fois pour y découvrir toute la nostalgie, voire la tristesse qu'elles dissimulaient. Je chante qui se termine par un suicide n'est qu'un exemple parmi d'autres.
D'où lui venait cette sorte de tristesse ? (Cette saudade comme disent les portugais.) Nostalgie de l'enfance perdue, du temps qui s'enfuit, tristesse de vieillir dans un monde homosexuel où l'amour est lié à la jeunesse ? Sans doute un peu de tout cela.
Trenet a dit lui-même dans une interview qu'il regrettait qu'ayant vécu trop tôt, il avait été tout au long de sa vie plus joyeux que vraiment gay... "il y a parfois des petits regrets qui viennent vous pincer le coeur" (Les petits rerets - 1959).
ll est vrai que si dans les folles années '20 et '30, les homosexuels s'amusaient à l'écoute de Dranem qui chantait "Le Trou de mon quai" ou "Henri, pourquoi n'aimes-tu pas les femmes ?", dans les années '40 le gouvernement de Vichy adoptait une loi contre les sodomites. Et si, à la libération, on gomma les lois infâmes de Pétain, on s'empressa de conserver celles qui réprimaient l'homosexualité. Les annees '50 et '60 restaient bien celles de la répression. Les homosexuels se cachaient. Ainsi c'est en 63 qu'il connaît la prison à Aix, mais déjà en 1948, à l'époque du maccarthysme, il fut détenu pendant 26 jours à Ellis Island aux Etats Unis. L'homosexualité était alors considérée comme une atteinte majeure à la sécurité américaine !
Les homosexuels ne peuvent donc pas lui en vouloir si durant tant d'années il n'a jamais fait un réel coming out. Mais les rares fois où il effleurait le sujet, c'était bien entendu avec l'humour dont il était coutumier. C'est ainsi que le jour où on lui faisait remarquer que l'on voyait souvent beaucoup de vélos d'hommes à la porte de sa propriété, il rétorqua : "je ne peux tout de même pas leur offrir à tous une mobylette !"
Je demeure à Bruxelles, mais prépare pour bientôt ma retraite dans le midi de la France où je passe déjàtoutes mes vacances. Dans ce pays catalan des verts platanes qui fut le sien, tout me rappelle ses chansons. J'ai vu danser la sardane dans le port de Collioure à l'éternel clocher d'or, je me suis promené dans des sentiers pleins d'oiseaux et de fleurs et chaque jour j'admire le Canigou, sa montagne. Sur la plage du "Bocal du Tech" je cherche en vain le piano...
Et lorsque je sens la nostalgie qui m'envahit, je me rappelle ses propres paroles : "il faut garder quelques sourires pour se moquer des jours sans joie".
mais quand, hélas, des gens aigris
font la grimace, des petits yeux gris
en m'demandant d'leur expliquer
pourquoi j'suis gai
je leur dit que rien ne peut changer ma joie
depuis que ton coeur m'a dit, chéri, je t'aime
rien ne peut changer ma joie
Depuis qu'ton coeur est tout à moi
(Rien ne peut changer ma joie - 1959)
Pour lire les textes des chansons évoquées dans l'article :
Je chante
Les petits regrets - 1959
Rien ne peut changer ma joie - 1959
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