Bonjour. Parmi les photos de mes vacances en France, il y a une d’un
tableau qui se trouve dans la maison natale. Il y a là beaucoup de photos
de Trenet avec les amis et les vedette, et beaucoup de tableaux faites par
son frère Antoine, mais il y a très peu qu’on peut dire montre son propre
goût. Seulement, dans l’escalier, il y a deux très grands tableaux : une
tapisserie ancienne, et une peinture moderne. Peut-être ils sont dans
l’escalier parce qu’ils sont trop grands pour les pièces. Ils sont en haut,
au niveau de appartement de Trenet, alors on peut dire qu’ils sont là pour
lui-même plutôt que pour des autres. En face de sa porte est ce grand
crucifixion :
On ne parle pas beaucoup de Trenet et la religion, mais, même s’il n’avait
pas de foi orthodoxe, les images chrétiennes/catholiques paraissent ass ez
souvent dans ses chansons. Peut-être c’est un peu une langue poétique, mais
j’ai l’impression que pour lui c’est aussi un aspect de l’innocence
d’enfance perdue, et de l’amour trouvé en rêve plutôt qu’en réalité. Que
pensez-vous ?
Le guide à la maison nous disait que le tableau était fait par un ami de
Trenet (qui s’appelait Laffitte) et qu’il date des années 60, et représente
ces jours noir, avec les chiens qui symbolisaient fidélité. Sans doute elle
avait raison, mais ce sont des images récurrent dans son œuvre, donc, je
crois que ce n’est pas un tableau choisi au hasard.
Bonjour Jeannette,
difficile à dire... Je crois me rappeler que Charles évoque son ami le
peintre Lafitte dans l'émission Sacrée Soirée de 1990 : Lafitte a peint un
paysage à l'encre de Chine, que Charles a aquarellé... On trouve également
sur Internet un article décrivant il y a quelques années la villa
d'Antibes, dans laquelle se trouvait un portrait d'Aznavour peint par
Lafitte.
Ensuite, on sait que Charles aimait peupler ses maisons d'oeuvres d'Art
montrant effectivement des sujets religieux : je pense aux statues
d'évêques à Aix, ou encore des Mater dolorosa ici et là... Etait-ce par
foi, ou bien pour accentuer le côté "gothique" de sa demeure, avec les
armures ? Le débat mérite d'être ouvert !
Bien à vous,
Frederick Sucre.
Il y a certainement ce gout gothique, et aussi des chansons avec les
fantômes ou qui parlent de chanter après la mort (Je chante, Sur le fil,
Kangourou, Je n'irai pas, Hélicoptère ...), mais on voit aussi un côté
plus romantique, ou plus doux, comme dans Ce soir je viens chez toi
et beaucoup de chansons qui parlent de la joie, la mort, le printemps
éternel et tout ça. Bien sûr, la joie ou l'amour dont il parle est souvent
un rêve, ou une illusion ("gentil soleil menteur," "dans un songe y a un
mensonge" &c), mais c'est un rêve dont il parlait ass ez souvent
pendant tout sa vie, n'est-ce pas ? Parfois aussi il utilisait une langue
qui me paraît biblique ou ecclésiastique, et ce n'était pas la mode à cet
époque dans le music hall, je crois - c'est une façon de s'exprimer qu’il a
choisi, pour parler des choses qui l'intéressait.
Comme d'habitude je ne réussis pas à m'exprimer très bien en français.
J'espère que je ne vous donne pas trop de peine !
A ce propos, Charles Aznavour disait sur France Musique: « Mais Trenet
était un enfant du patronage. Trenet avait regardé en lui un certain
religion… familiale… Il était chrétien, alors, on le sentait dans le
travail. Il n'en a jamais parlé, mais en fait il était un chanteur
chrétien. »
Et Charles Trenet que dit-il ? J’ai recueilli quelques paroles :
quote:
— A la longue, il aurait acquis des idées nettes, et peut-être
définitives, sur les seuls trois grands problèmes de ce monde : Dieu, la
vie, la mort. Pour le moment, — et il en sera toujours ainsi, certainement,
— Dieu, dont il s’interdisait de se faire la moindre image, lui dispensait
ses grâces inexprimables, puisqu’il pouvait souffrir sans révolte et être
heureux sans amertume. Les déceptions, les douleurs, il les acceptait, en
se gardant bien de commettre le sacrilège de croire que Dieu lui
manifestait ainsi sa puissance de justicier. En dépit de ses faibles moyens
d’investigations dans les arcanes de la métaphysique comme dans celles de
la doctrine chrétienne, il était convaincu que Dieu n’est que bonté,
indulgence, miséricorde infinies, et qu’il ne punit jamais les
humains, qui sont tellement irresponsables de leurs fautes. ll ne croyait
ni au péché, ni à la rédemption par la souffrance. Dieu est si haut, si
loin, si indéfinissable, qu’il ignore sans doute que nous souffrons. S’il
nous imposait la souffrance, il ne serait pas Dieu. Au cours de ses
méditations sur ces hypothèses, Dodo se remémorait toujours cette admirable
réflexion que fit Henri Duparc, notre plus grand musicien après
Rameau, Debussy, Ravel, et qu’il avait lue il ne savait plus dans quel
livre : « Dieu ne nous demande jamais rien au-dessus de nos forces : la
preuve, qu’il a fait la vie courte. » Evidemment, sur ce chapitre, l’élève
Manières sentait le fagot, mais un fagot d’aromates, où des branches
d’encens et d’hysope voisinaient avec les tiges des plantes qui donnèrent
leurs petites fleurs à saint François d’Assise.
— … je demandais à Jésus de venir me voir. Il apparaissait de très bon
matin, avant le tintin de la cloche, vers 6 heures, traversant le dortoir,
revêtu d’une longue, souple et silencieuse tunique blanche. Il s’approchait
de mon pageot, caressait mes cheveux d’ange, m’embrassait tendrement et
remontait au ciel. En bas, à 7 heures, dans le réfectoire, il était en
croix, collé au mur, sur un mètre cinquante. Il me souriait. Je répondais
par un clignement d’œil de copain à copain. Une fois, le pion surprit mon
manège, le trouva sacrilège et indécent. Je dus recopier cent fois, en
tirant la langue : « Je jure de respecter les crucifix. » J’aurais juré
n’importe quoi à cet imbécile. Je savais que Jésus était mon ami, mon père,
fils du Saint Esprit, le plus doux des camarades à qui je pouvais tout dire
sans parler de péché.
— La foi religieuse que j’ai m’a aidé beaucoup … Mais, j’ai pensé
évidement beaucoup à des choses un petit peu plus sérieuses. Dans le fond
c’était un peu comme si j’avais fis une retraite dans un couvent. Je
pensais que bien souvent il y a des choses sérieuses dans la vie que l’on
néglige sous le prétexte d’être drôle, et de s’amuser et alors j’ai pensé
peut-être un petit peu plus profondément à certaines choses. Je pensais à
mon enfance, à mes jours de catéchisme, à ma première communion. Je pensais
beaucoup à des choses religieuses et voilà pourquoi ma première réaction
était non pas d’écrire une chanson gai, ça était de faire, d’écrire une
prière. Mais une prière spécial, une prière pour les prisonniers, que j’ai
dite le dimanche à la messe…
— Dieu me semble un concept un peu faible. Vous croyez, vous, à un Créateur
qui s'emmerdait ass ez dans l’éternité pour créer le jour et la nuit. puis
Adam et Eve, ces deux singes ? Cela dit, j’ai foi. J’ai foi dans l’univers
qui est une grappe de raisin.
— Pour juger de la dimension réelle de notre pouvoir, il suffit de se
rendre compte que nous jouons tous une pièce écrite par un auteur inconnu,
et qui le restera. Mais il est indispensable d’admettre, en même temps, que
notre existence a un sens profond qu’il ne faut pas négliger sous prétexte
d’être heureux.
— Je préfère croire à une puissance extraordinaire qui donne la vie qu’à
une patte de lapin qui va me porter bonheur. Ce matin, j’ai prié. Je
n’arrivais pas à enfiler mes chaussures, et j’ai dit: “ Mon Dieu, si Vous
existez, mettez-moi le pied dans mon soulier. ” Et je l’ai mis… Après la
vie, il n’y a rien du tout. Rien. Mais c’est bien, rien, c’est reposant.
Oui, la vie est un passage physique, et l’âme n’existe pas. Il y a l’âme
des poètes, je l’ai chantée, c'est ce qu’ils ont laissé. Je voulais écrire
un livre, mais je n’ai que la fin, où un type arrive et meurt. Et il dit: «
Ah oui ! A présent, je me souviens !… »
Il y a aussi tout ce côté que Serge Hureau appelait panthéisme, et que
d’autres ont dit franciscain (l’auteur lui même parlait de François
d’Assise ci-dessus) :
Rivière mon amie
C’est pour toi que je chante
Et vous petits oiseaux écoutez-moi
Cochons vaches et veaux
Et vous bêtes méchantes
Qui hurlez dans les bois
ou
C’est toi la branche de bois mort
C’est toi l’oiseau, la mer, le port
Les vacances...
Les sources de ces citations :
1. Aznavour : France Musique 18/19 février 2011, Nuit Charles Trenet
2. Dodo Manières pp 209-211, ch XXII
3. Mes jeunes année p119
4. Sortie de prison. Entretien avec Charles Trenet à son domicile provençal
par Antoine Livio(Radio-Lausanne, août 1963 c.) Horloge de sable, 26/2/2011, RSR
5. L’Express, 5 Nov 92,
19/2/2011
6. Pessis, L’âme d’un poète, p53
7. Cannavo, Monsieur Trenet, p536
8. La route enchantée
9. L’oiseau des vacances
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